Bien évidemment, tout le monde sait que la France est minée par les grèves, véritable sport national dont nous serions les champions du monde si tant est qu'un tel championnat existe. A tel point que des voix de plus en plus nombreuses s'élèvent à chaque mouvement social pour exiger la mise en place du mythique service minimum, sensé délivrer les usagers pris en otages (selon la formule désormais consacrée en pareille situation, formule qui au passage doit faire rire un peu jaune quelqu'un comme Florence Aubenas par exemple), exaspérés qu'ils sont par ces arrêts de travail incessants.
Bien évidemment... sauf que, même s'il n'y a pas de championnat du monde des grèves, il existe quand même quelques statistiques et donc un classement... Et là, affront suprême, honneur national baffoué et foulé aux pieds des manifestants battant le pavé, on découvre que non seulement, nous ne sommes pas champions du monde, mais qu'en plus, on se fait damer le pion par des pays que l'on nous cite pourtant régulièrement en exemple.
Suite à la lecture d'une brève dans un hebdo sur ce sujet particulier, le Nouvel Obs si mes souvenirs sont exacts, j'ai fait une rapide recherche et je suis tombé sur deux sources de comparaison au niveau européen concernant le nombre de journées de travail perdues pour cause de grève dans les pays européens.
Le graphique ci-contre provient de la Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail, et plus précisément de l'EIRO (European Industrial Relations Observatory). Ce dernier a mené une étude sur l'évolution de la situation en matière d'actions syndicales dans l'Union Européenne sur les années 2000 à 2004. Ce graphique donne la moyenne sur la période 2000-2003 du nombre de journées de travail perdues suite à ces actions syndicales pour 1000 salariés. Et l'on constate que la France se situe finalement dans la moyenne avec 40,5 (même un peu en dessous puisque la moyenne de l'échantillon s'établit à 45,2). Certes, le Royaume-Uni nous devance de deux places avec 27,5 journées perdues pour 1000 salariés. Mais le commentaire du graphique indique à titre de comparaison que les Etats-Unis sur la période 1998 -2002 se situent à 47. Plus étonnant encore, les pays scandinaves dont on vante pourtant le modèle social figurent tous les quatre au dessus de la France.
Une autre source d'informations vient corroborer ces chiffres. Il s'agit de la Fédération des Employeurs Européens, qui donne un tableau pratiquement équivalent, avec des chiffres sur la période 2002-2004. Et cette fois-ci, la France passe devant le Royaume-Uni avec 16 jours perdus pour 1000 salariés contre 34,7 au Royaume-Uni (ce qui laisse penser qu'il y a eu très peu de conflits en France en 2004 et par contre une augmentation des jours de grève au Royaume-Uni par rapport aux chiffres 2000-2003). Même si les rédacteurs se sont empressés, devant cette incongruité, d'ajouter le commentaire suivant quant au chiffre français : "Strikes and lockouts increased considerably since period covered by statistics"!
Pour ce qui concerne spécifiquement la situation française, le site du Ministère du travail donne des séries longues et des notes d'information instructives sur les évolutions des conflits sociaux. La dernière en date (novembre 2005) fait d'ailleurs le constat d'une baisse de la conflictualité tant dans le secteur privé que dans le secteur public en 2004. Et un examen d'une série longue sur le nombre de journées individuelles non travaillées pour fait de grève dans les entreprises montre à quel point la baisse est spectaculaire depuis les années 1970. De quoi relativiser un peu...
Bref, quelques graphiques et données à garder sous le coude pour la prochaine salve de jérémiades sur cette soit-disante exception française.
Dans le jeu médiatique (y compris les blogs), politique actuel, beaucoup ont compris que lorsque l'on crie "au loup" il en reste toujours toujours quelque chose "il n'y a pas de fumée sans feu". Il y a comme un brin d"exaspération dans votre billet et je le partage.
Rédigé par : Quoique | 29/12/2005 à 19:26
J'apprécie toujours autant vos commentaires.
Vous avez le chic de donner des claques à l'hypocrisie et cela me donne la pêche, après m'être fendue la poire...
Rédigé par : DG | 29/12/2005 à 20:13
Je crois que quand certains fustigent les grèves, c'est toujours celles du service public, censée montrer l'incurie de l'Etat, blablabla. Mais aussi ça montre à quel point on a besoin du public, puisqu'à chaque fois qu'il s'interrompt, on le sent fortement passer.
Il faut dire qu'une grève dans le privé a souvent des objectifs précis (salaire, conditions de travail, emplois), alors que dans le public c'est parfois plus flou, avec des objectifs plus politiques, ou que les médias ne répercutent pas à la population.
Dans les chiffres de la Dares, on voit à quel point les intérêts des salariés du public et du privé peuvent diverger: 2003 a été une année d'apaisement dans le privé alors que les grèves ont explosé dans la fonction publique et dans les transports (où SNCF et RATP jouent un rôle non négligeable).
Rédigé par : Cyrille | 31/12/2005 à 00:30
Ce n'est pas parce que nous sommes battus à ce "sport" par d'autres "concurrents" que notre situation est plus glorieuse pour autant.
Les transports en commun sur Paris c'est devenu n'importe quoi, et quand comme moi on y passe au minimum trois heures par jour, on ne peut pas tenir le même raisonnement - très théorique - que vous. Je serais le premier à soutenir les mouvements sociaux dans le douillet siège en cuir de mon hypothétique BM.
Pas les pieds dans la neige fondue, congelés faute de trains.
Rédigé par : NiKo | 31/12/2005 à 07:42
L'étude de la Dares est en effet fort interessante
En 2003, année très particulière, le nombre de jours de grève dans le secteur privé ne représente que 5% du total privé+public+transport(hors Poste et France télécom)
En 2004, année plus normale, le privé représente 27% des jours de gréve (avec les 3/4 des salariés!), le public 50% et les transports les 23% restants Si on tient compte des effectifs, il y a en 2004 8 fois plus de gréve dans le public que dans le privé (70 fois plus en 2003 mais bon...)et quelque chose comme 40 fois plus dans les transports (c était pire en 2003 et cela ne va pas s'arranger en 2005 avec 6 journées nationales de gréve à la SNCF)
Donc 3 anomalies
une sous conflictualité dans le privé, révélatrice de la grande faiblesse syndicale et de l'effet chômage (effectivement, cela doit être différend dans les pays scandinaves)
une sur conflictualité dans le public, peu surprenante quand on sait la qualité du management qui y régne
une aberration dans les transports, alors qu'il s'agit d'un service essentiel comme le souligne niko à partir de son propre cas
Rédigé par : Verel | 31/12/2005 à 09:05