
Ainsi donc c'est entendu, le Royaume-Uni de Tony Blair représente l'avenir de l'Europe, et du haut de son insolent dynamisme économique, la perfide Albion le modèle à suivre. Non seulement, il y a presque unamité des médias pour vanter la réussite de la fameuse troisième voie britannique incarnée par le leader du parti travailliste, non seulement, par une ruse de la petite histoire (et par une tactique digne des meilleurs stratèges d'échecs) Blair apparait en position de force sur la scène européenne après le Non francais (alors même que nous lui avons enlevé une sérieuse épine du pied en lui permettant de reporter sine die un référendum à haut risque pour lui), non seulement, une partie du PS rêve de transformer le parti qui n'a plus de socialiste que le nom en New Labour à la française, non seulement la blogosphère que je fréquente ne jure que par la réussite à la sauce anglaise, mais en plus, ultime affront, Londres vient de souffler à Paris les Jeux Olympiques qui lui semblaient promis (je ne parlerai pas ici de la vague d'attentats que subissent nos amis anglais, le seul mot à dire à ce sujet étant solidarité, solidarité totale).
Il faut dire que les chiffres sont plutôt flatteurs, vu de ce côté-ci de la Manche. Une croissance de 3.2% en 2004 (contre 2.3% pour l'UE à 25), croissance qui, depuis 199, a toujours sur-performé la moyenne européenne, une inflation à 1.3% en 2004 (contre 2.1% pour l'UE à 25), elle aussi toujours en deçà de la moyenne européenne depuis 1997, une dette publique qui est passée de plus de 50% du PIB à moins de 40% entre 1997 et 2003 (à titre de comparaison la France avait une dette publique de près de 64% du PIB à fin 2003), mais surtout, last but not least, un taux de chomage à faire palir d'envie les gouvernements essouflés du vieux continent, 4.7% en 2004 contre 8% à fin 1996 (contre 9% dans l'UE des 25 et faut-il le rappeler, 9.7% en France) - source des chiffres Eurostat.
Sans compter évidemment sur une monnaie qui se porte plutôt pas mal (et qui n'est pas l'euro!), et des services publics en voie de guérison, après la saignée opérée par des années de tatchérisme. Alors ? La messe est dite?
Vous pensez bien qu'un laïque comme moi, athée qui plus est, ne pouvait pas se contenter d'un tel catéchisme sans fouiller un peu. Et voilà qu'un article de Marianne me fournit les munitions que je recherchais. Et plus qu'un article de Marianne, dont on pourrait à raison douter de l'objectivité, ce sont surtout les travaux de deux chercheurs anglais de l'université de Sheffield qui, à la manière d'un Gérard Majax dévoilant l'envers du décor des tours de magie, soulève une partie du voile de fumée qui fait office d'aura à l'homme politique de ce début de siècle.
Christina Beatty et Stephen Fothergill, du Centre for Regional Economic and Social Research de l'université de Sheffield, étudient depuis plusieurs années l'emploi au Royaume-Uni, en particulier dans les régions sinistrées de Grande-Bretagne autour des bassins miniers ou au Pays de Galles. Une de leurs études publiées fin 2002 révèle que le nombre effectif de personnes sans emploi au Royaume-Uni est largement sous-estimé par les statistiques officielles, nombre de chômeurs ayant été "transférés" de l'assurance-chômage (jobseeker's allowance) à l'assurance-maladie (incapacity benefit). En réintégrant ces transferts statistiques, le nombre effectif de sans emploi atteint 2.8 millions de personnes en 2002, contre 1.5 millions dans les statistiques officielles! Pratiquement le double! L'effet est de plus particulièrement important dans des régions comme le Pays de Galles, le nord de l'Angleterre ou l'Ecosse. J'avais déjà entendu furtivement cette analyse lors d'une émission radio écoutée d'une oreille distraitre mais cela me semblait quand même assez gros (voir aussi cet article du Guardian). Et bien non, le taux de chomage officiel sous-estime de presque moitié le taux de chomage réel. Soit, un taux de chomage quelque part autour de 10%. Ce qui faisait dire ainsi à un analyste de Bloomberg, Matthew Lymn, en juin 2004, dans une note intitulée "Le paradis britannique de l'emploi est une affaire de sémantique", "les Britanniques devraient cesser de s'imaginer qu'ils ont résolu le problème du chômage". Et certains de nos politiciens (et quelques amis bloguers, pour ne pas dire blagueurs) devraient cesser de nous les briser menu menu avec la réussite anglaise quant au traitement du chômage.
Vous me direz: après tout, ce n'est qu'un transfert d'un système d'indemnisation vers un autre, transfert qui est plus souvent volontaire, puisque ce sont les concernés qui se déclarent malades ou handicapés. Sauf que, quel aveu, quel modèle de société, où l'on considère les sans emploi comme des malades ou des handicapés. Ce serait donc cela le social-libéralisme! Et sauf que, lorsque l'on connait l'impact important du taux de chomage sur la confiance et donc la consommation, lorsque l'on sait que cet argument nous est rabaché à longueur d'antenne par chroniqueurs, éditorialistes et hommes politiques vantant les mérites du modèle anglais quant au traitement du chômage, on ne peut qu'applaudir des deux mains le tour de passe-passe statistique de maître Blair.
Après les ADM en Irak, voilà un deuxième mirage qui nous montre que décidemment, la politique en ce début de 21ème siècle, c'est beaucoup de communication, beaucoup de conviction et ma foi, bien peu de réalité. Orwell n'aurait pas fait mieux.
Sujet intéressant qui demande à être approfondi car il ne touche pas seulement la Grande Bretagne et il pose le problème de l'exclusion d'une partie des citoyens dans les pays ou le marché est roi. Je ne dis pas qu'il faut supprimer le marché :0) mais qu'avant de toucher les bénéfice il faut peut-être avoir soldé l'ensemble des coûts induits.
J'ai fait un petit billet en complément du tien, qui reléve d'autres sources : le Monde et le Point.
Rédigé par : Quoique | 26/07/2005 à 21:21
Intéressant, mais je trouve qu'il faut rester plus objectif que vous ne l'êtes sur la fin de votre analyse si l'on veut vraiment réfuter le modèle britannique.
Concernant le chômage, en tenant compte des chiffres officiels avancés on obtient au final 8,7 % de chômeurs et pas 10%. Je trouve que l'écart est tout de même important (si en France Villepin parvenait à faire baisser le chômage de un point de pourcentage il s'empresserait de clamer son talent) et ce taux reste en dessous de la moyenne européenne.
Enfin ce calcul ne remet nullement en cause les réussites anglaises en terme de croissance et d'inflation.
Je suis pour ma part prudent sur l'évaluation de la réussite britannique, parce que je connais mal le sujet, mais leurs résultats me semblent tout de même plaider pour eux.
Rédigé par : pikipoki | 27/07/2005 à 14:44
@ pikipoki
On ne va pas se battre sur les chiffres mais si on considère que les chiffres officiels en 2002 donnaient comme je l'indique 1,5 millions de chômeurs soit 5,1% de la population active, alors que l'étude citée estime à 2,8 millions le nombre de sans emploi, on arrive à 9,5% de chômeurs à fin 2002. Vous m'accorderez que l'on est pas très loin des 10%! A la même époque en France, le taux officiel était de 8,8%...
Mais la question n'est pas tant dans les chiffres que dans la dynamique. Ce calcul remet bel et bien en cause la pseudo-réussite de la politique de Blair quant au traitement du chômage puisqu'en 1997, à l'arrivée de Blair, le taux de chômage était officiellement de 7,5%.
Et puis comme je le notais dans mon post, considérer implicitement une partie des sans emploi comme relevant d'un régime d"indemnisation maladie/handicap, c'est quand même une drôle de vision de la société. C'est cela je trouve le plus choquant sur le fond.
Si j'ai le temps, je parlerais aussi du problème des inégalités et de la pauvreté, en particulier chez les enfants, et vous verrez là aussi que les résultats ne plaident pas particulièrement pour eux.
Néanmoins, ne nous méprenons pas, je ne m'en félicite pas le moins du monde, mais qu'on arrête de nous saouler avec le modèle anglais et la réussite de Tony Blair.
Rédigé par : Krysztoff | 27/07/2005 à 17:09
J'avais fait mon calcul sur la base de 4,7% de chômeurs, voilà d'où vient notre écart.
Concernant votre remarque concernant l'assimilation de chômeurs à des handicapés en raison du régime d'indémnisation auquel ils sont rattachés, croyez-vous vraiment que cela signifie que ces chômeurs là sont assimilés à des handicapés? Je suis assez dubitatif sur la question. Bien sûr il y a là un symbole marquant. Mais cela va-t-il au delà du seul symbole? J'en doute. A mon avis ils ont plus procédé ainsi pour répondre à un problème pratique, je ne pense pas qu'ils se soient dit: "ces gens là sont handicapés, indémnisons-les au régime qui leur correspond le plus."
Rédigé par : pikipoki | 29/07/2005 à 09:39
@ pikipoki
je vous trouve bien naïf (et moi sans doute un peu trop cynique, je l'admets:-)
Le problème pratique du gouvernement Blair? Faire croire à une réduction massive du chômage. La solution trouvée? Transférer une partie des chômeurs vers un autre régime d'indemnisation, et faire ainsi baisser artificiellement les statistiques du chômage. C'est ce que dénonce les deux chercheurs anglais dont je cite l'étude.
Et en ce sens, cela me semble symbolique et révélateur d'un système économique qui ne sait plus quoi faire des "exclus", des personnes à la marge. Ne vous inquiétez pas, en France, on ne fait guère mieux. On met les salariés de plus de 55 ans en pré-retraire et le nombre de RMIstes a explosé ces trois dernières années. Ce qui explique par ailleurs en partie que la France soit en tête dans les statistiques en termes de productivité par salarié: on exclut du marché du travail les moins productifs et on pressurise les salariés les plus productifs (vous devez en savoir quelquechose, vous qui êtes intéressé par la problématique du stress en entreprise).
La question fondamentale derrière tout cela, c'est celle d'un système économique qui n'a besoin pour "tourner" que des travailleurs les plus productifs, qui se contente "sans problème" d'un taux de chômage de 10% et plus, et qui ne sait pas trop quoi faire de ceux qui ne sont plus assez productifs.
Rédigé par : Krysztoff | 29/07/2005 à 09:54
Dans l'hebdo Marianne N° 431 (23 au 29/07/05) il y a un article de Philippe Auclair interessant sur ce sujet : "La vérité sur le modèle britannique".
Intro : Chômage, santé, éducation, transports... La bonne santé économique de la Grande-Bretagne cache aussi une immense duperie mise en place par le gouvernement Blair. Enquête sur un génial tour de passe-passe.
Rédigé par : Rolling Pat | 29/07/2005 à 14:31
@Kryzstoff
Je ne remets pas en cause ce que vous avancez sur la dissimulation de la véritable performance économique du RU. Seulement le point que vous avanciez qui semblait dire que cette dissimulation s'accompagnait en plus d'une vision des chômeurs comme étant des handicapés.
Il y a peut-être volonté de dissimulation, mais "c'est tout", ça n'est pas sous-tendu par l'idée que les chômeurs sont des handicapés. C'est tout ce que je voulais dire.
Rédigé par : pikipoki | 29/07/2005 à 16:46
"...on arrive à 9,5% de chômeurs à fin 2002. Vous m'accorderez que l'on est pas très loin des 10%! A la même époque en France, le taux officiel était de 8,8%..."
Kryztoff,
cette phrase est a mourrir de rire, trouvez pourquoi.
etes vous assez naif pour croire que seul l'Angleterre applique un peu de maquillage politique? ne croyez vous pas que du cote du socialisme triomphant de la manche on procede a la meme chose, voir meme bien pire?
quand a l'ultra liberalisme fourbe de la perfide albion, je vous en pris, renseignez vous au moins sur le pourcentage de depenses publiques vis a vis du PIB avant de resortir les cliches constant de la presse de gauche.
Rédigé par : Zilch | 03/08/2005 à 18:08
@ Zilch
D'abord mon nom c'est Krysztoff et non Kryztoff, c'est quand même pas compliqué :-))
Ensuite, si vous me lisez bien , je parle des chiffres officiels. Il n'y a aucun doute que les chiffres réels du chômage en France soient supérieurs à ceux annoncés officiellement, ne fusse que parce qu'ils ne prennent en compte que certaines catégories de chômeurs. Et j'ai également noté dans une réponse à pikipoki qu'en France, on ne faisait guère mieux en excluant du marché du travail les + de 55 ans et en transférant une partie des chômeurs vers des dispositifs de type RMI.
Enfin, effectivement, ce que l'on ne note que rarement quand on parle de la réussite de la politque de Blair, c'est qu'un majorité des emplois créés sont des emplois publics. Ce qui ne fait pas très libéral en effet.
Donc, pour conclure, je me renseigne, je ne suis guère naïf, et pour le coup, les clichés de la presse de gauche, qui ne jure (hormis l'Humanité) que par le modèle anglais,je les contredis plus qu'autre chose dans ce post.
Rédigé par : Krysztoff | 03/08/2005 à 19:46